Ouverture des opérations de partage : revirement de jurisprudence de la Cour de cassation qui considère désormais que le juge peut renvoyer les parties devant le notaire.

Un jugement du 9 septembre 2016 a prononcé le divorce d’époux mariés sans contrat préalable. Des difficultés étant survenues lors des opérations de comptes, liquidation et partage de leurs intérêts patrimoniaux, un jugement du 19 novembre 2020 a désigné un notaire pour procéder à ces opérations, commis un juge pour les surveiller et statué sur certaines des contestations soulevées par les parties. L’ex-époux a formé appel de ce jugement.

Les juges du fond retiennent que l’ex-épouse dispose de plusieurs créances à l’encontre de l’indivision (taxes d’habitation, foncières) et précisent qu’il lui appartiendra d’apporter les preuves du paiement devant notaire, à défaut de quoi, aucune créance ne sera fixée à son bénéfice à ce titre.

L’ex-époux forme un pourvoi en soutenant que “le juge doit trancher lui-même les contestations dont il est saisi, sans pouvoir déléguer ses pouvoirs au notaire liquidateur, dont la mission ne peut être que de donner un avis sur des points de fait relatifs à l’évaluation des créances des époux ; qu’en se bornant à inviter [l’ex-épouse] à produire entre les mains du notaire liquidateur la justification des sommes payées au titre de la taxe foncière du bien indivis, sans fixer elle-même la créance à ce titre, la cour d’appel, qui a commis un déni de justice, a violé l’article 4 du code civil”.

Pour la Cour de cassation (22-13041), “il résulte de l’article 4 du Code civil que le juge, auquel il incombe de trancher lui-même les contestations soulevées par les parties, ne peut se dessaisir et déléguer ses pouvoirs à un notaire liquidateur“.

Elle rappelle que “la première chambre civile de la Cour de cassation jugeait, depuis de nombreuses années, que constitue une violation de l’article 4 du code civil le fait, pour le juge saisi d’une demande d’ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage, de s’abstenir de trancher les contestations soulevées par les parties et de renvoyer celles-ci devant le notaire liquidateur pour apporter les justificatifs de leurs demandes (1re Civ., 02/04/1996, N. 94-14310, Bull. 1996, I, N. 162 ; 1re Civ., 21/06/2023, N. 21-20323 [Diane-infos 26846])”.

Elle précise que, “cependant, cette jurisprudence, dans sa rigueur, ne tient pas compte de la spécificité de la procédure de partage judiciaire dit complexe prévue aux articles 1364 à 1376 du code de procédure civile, qui comprend une phase au cours de laquelle le notaire désigné par le tribunal pour procéder aux opérations de partage sous la surveillance d’un juge commis convoque les parties et demande la production de tout document utile pour procéder aux comptes entre elles et à la liquidation de leurs droits, avant de dresser un projet d’état liquidatif, conformément aux articles 1365 et 1368 du même code.

D’abord, dans une telle procédure, c’est en principe par cette phase notariée que commencent les opérations de partage. Il est rappelé à l’article 1372 du code de procédure civile qu’en application de l’article 842 du code civil, les copartageants peuvent à tout moment abandonner les voies judiciaires et poursuivre le partage à l’amiable, si les conditions en sont réunies. Il est dès lors conforme à l’esprit de ce dispositif de permettre l’instruction par le notaire des désaccords relatifs aux comptes, à la liquidation et au partage, afin d’en favoriser le règlement amiable.

Ensuite, si le traitement anticipé par le juge des différends opposant les copartageants peut parfois favoriser le bon déroulement des opérations de partage en permettant, notamment, l’établissement de la qualité d’héritier ou de légataire ou la détermination en amont de la loi applicable au litige ou des éléments actifs et passifs de la masse à partager, il peut également présenter des inconvénients. Ainsi, en présence de demandes portant sur l’évaluation de biens objets du partage ou de créances calculées au profit subsistant, une décision immédiate sera dépourvue de l’autorité de la chose jugée si elle ne fixe pas la date de jouissance divise (1re Civ., 03/03/2010, pourvoi N. 09-11005, Bull. 2010, I, n° 50 ; 1re Civ., 21/06/2023, pourvoi N. 21-24851, publié [Diane-infos 27036]), laquelle doit être la plus proche possible du partage et ne saurait, en principe, être fixée dès l’ouverture des opérations. Aussi, l’opportunité d’un traitement préalable d’une difficulté dépendant des circonstances propres à chaque procédure de partage, il apparaît nécessaire de permettre au juge de l’apprécier.

Enfin, selon les articles 1373, alinéas 1 et 2, et 1375, alinéa 1er, du code de procédure civile, en cas de désaccord des copartageants sur le projet d’état liquidatif, le notaire est tenu d’en référer au juge commis, et c’est au tribunal qu’il revient de trancher les points de désaccord subsistants dont le juge commis lui a fait rapport. Il s’ensuit que ne délègue pas ses pouvoirs le juge qui, saisi de contestations au stade de l’ouverture des opérations de partage judiciaire, renvoie les parties devant le notaire afin d’en permettre l’instruction, dans l’intérêt du bon déroulement des opérations de partage.

Ces considérations conduisent la Cour à juger désormais que ne méconnaît pas son office le juge qui, saisi de demandes au stade de l’ouverture des opérations de partage, estime qu’il y a lieu de renvoyer les parties devant le notaire afin d’en permettre l’instruction.

Après avoir relevé que les avis versés aux débats, relatifs aux taxes foncières des années 2014, 2015 et 2016, étaient au nom des deux parties, et retenu qu’ils ne permettaient pas de savoir laquelle avait réglé ces taxes, c’est sans méconnaître son office que la cour d’appel a décidé qu’il appartiendrait à [l’ex-épouse] de justifier du paiement de ces taxes devant le notaire pour fonder son droit à créance, à défaut de quoi aucune créance ne serait fixée à son bénéfice à ce titre.

Le moyen n’est donc pas fondé“.

C.Cass.Civ.1ère, 22-13041, 27/03/2024 ;
courdecassation.fr

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