Le Pacte Dutreil : un dispositif fiscal en forte croissance à mieux cibler – Rapport (et synthèse) de la Cour des comptes.
Le pacte Dutreil est un dispositif fiscal institué au début des années 2000 qui réduit fortement l’impôt sur les transmissions, par héritage ou par donation, des entreprises familiales dès lors qu’est conservé pendant une période minimale le contrôle familial de l’entreprise et que les héritiers ou donataires s’engagent à conserver les titres reçus pendant plusieurs années.
Comme le relève la Cour des comptes, le pacte Dutreil est l’un des principaux dispositifs dérogatoires au régime fiscal de droit commun des droits de mutation à titre gratuit (DMTG), avec le démembrement de propriété et l’assurance-vie. La dépense fiscale liée au dispositif est restée estimée en projet de loi de finances à un montant supposé de 500 M€ par an de 2011 à 2024, avant d’être actualisée à 800 M€ dans le projet de loi de finances pour 2025. La présente évaluation montre que le coût du dispositif a été très supérieur à cette estimation au cours des deux dernières années.
Ce dispositif n’a jamais été évalué depuis sa création. Seuls le nombre de transmissions annuelles faisant l’objet d’un pacte Dutreil et l’estimation de la dépense fiscale sont publiés par l’administration, mais aucune étude statistique n’avait été menée à bien jusqu’à présent, ni sur les entreprises concernées, ni sur l’efficacité du dispositif au regard de ses objectifs, notamment sur la pérennité et le développement des entreprises et sur l’emploi. La Cour des comptes a donc jugé nécessaire de mener cette évaluation pour verser au débat public une analyse précise de ses objectifs, de ses bénéficiaires et de ses effets économiques sur l’investissement et l’emploi, en même temps qu’une estimation plus robuste de son coût pour les finances publiques.
Le rapport proposé par la Cour des comptes (Diane-infos ????-A) s’appuie pour ce faire sur des données fiscales inédites qui n’avaient jamais été exploitées. Il repose en outre sur un partenariat de recherche avec l’Institut des politiques publiques (IPP). A noter qu’une synthèse de ce rapport est également proposée (Diane-infos ???-B).
La Cour des comptes l’évalue désormais à plus de 3,3 Md€ en 2023 et 5,5 Md€ en 2024, contre 1,2 Md€ en 2020-2021. Cette hausse s’explique par l’augmentation des transmissions et par des opérations exceptionnelles. À titre de comparaison, les droits de mutation sur l’ensemble des successions et donations s’élèvent à 20,9 Md€ en 2023 et 2024. Ainsi, le pacte Dutreil représente environ un quart de ces recettes. La dépense fiscale est très concentrée : le dernier centile capte 65 % du total, avec 110 donataires bénéficiant chacun d’un avantage moyen de 30 M€ en 2024.
L’évaluation menée par l’Institut des politiques publiques (IPP), en partenariat avec la Cour des comptes, a comparé les trajectoires d’entreprises transmises sous pacte Dutreil entre 2010 et 2018 avec celles d’entreprises transmises sans ce dispositif. Les résultats montrent un impact positif sur la pérennité du contrôle familial : le changement de contrôle intervient dans 10 % des cas l’année de la transmission, puis 27 % et 40 % après cinq et dix ans, contre respectivement 18 %, 42 % et 48 % pour les entreprises hors Dutreil.
En revanche, aucun effet significatif n’est observé sur l’investissement, la performance financière ou l’emploi. Le taux d’investissement reste similaire dans les deux groupes (environ 5,3 % avant la transmission et 4,5 % cinq ans après). Quant à l’emploi, près d’un quart des salariés présents un an avant la transmission ne sont plus en poste neuf ans plus tard, quel que soit le dispositif. Ainsi, si le pacte Dutreil renforce la continuité familiale, il ne génère pas les effets économiques favorables attendus.
Face à un coût fiscal élevé et des résultats économiques limités, la Cour des comptes préconise une réforme articulée autour de deux axes :
Supprimer les mécanismes d’optimisation fiscale sans intérêt général, notamment :
– l’éligibilité des biens non professionnels ;
– le « pacte réputé acquis », qui dispense de l’engagement collectif préalable ;
– le « family buy out » – FBO – permettant à des donataires de revendre leurs parts tout en bénéficiant de l’avantage ;
– l’allongement de la durée de détention obligatoire des titres.
Réduire le montant de la dépense fiscale, par :
– Une baisse du taux d’exonération et l’introduction d’une progressivité ;
– Une limitation des avantages pour les secteurs réglementés (pharmacies, cabinets comptables) ou non exposés à la concurrence internationale.
La Cour souligne que si un avantage fiscal reste justifié pour compenser les droits de mutation élevés en France, il doit être mieux calibré pour concilier efficacité économique et équité budgétaire, sans freiner le développement des entreprises stratégiques.
Vous consulter le rapport et sa synthèse directement sur le site de la Cour des comptes.
Publication Cour des comptes, 18/11/2025 ;
ccomptes.fr



