Condamnation du notaire pour escroquerie en cas de perception d’honoraires indus.
Un notaire a fait l’objet d’une inspection de son étude qui a révélé des anomalies comptables. Les inspecteurs ont constaté qu’il percevait des sommes présentées comme des honoraires libres, alors qu’elles correspondaient en réalité à des émoluments tarifés.
Il a alors été renvoyé devant le tribunal correctionnel du chef d’escroquerie (article 313-1 du Code pénal) pour avoir, par abus de sa vraie qualité de notaire, trompé les clients de son étude et les avoir déterminés, à leur préjudice ou au préjudice d’un tiers, à remettre des fonds, en l’espèce en faisant un usage abusif des honoraires prévus à l’article 4 du décret N. 78-262 du 08/03/1978 portant fixation du tarif des notaires, avec cette circonstance que les faits ont été commis par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions ou de sa mission.
Condamné, le notaire forme un pourvoi soutenant notamment, d’une part, que la distinction entre émoluments et honoraires libres serait trop incertaine pour fonder une condamnation pénale et, d’autre part, que la cour d’appel n’a pas suffisamment caractérisé l’intention frauduleuse.
* Tout d’abord, en l’espèce, pour déclarer le prévenu coupable du chef d’escroquerie, la cour d’appel énonce notamment que, sur la période des faits, les tarifs des notaires étaient régis par le décret précité « qui distingue deux types de rémunération, d’une part, les émoluments qui peuvent être fixes ou proportionnels et sont calculés selon les règles exposées par ledit décret, d’autre part, les honoraires dont le montant est déterminé avec les parties et qui ne peuvent concerner que les actes qui ne sont pas rétribués par un émolument ».
Les juges du fond ont relevé « que la pratique de l’article 4 du décret précité, relatif aux honoraires libres, a fait l’objet de commentaires doctrinaux qui permettent de comprendre l’esprit des textes et qu’à l’audience [le notaire] a indiqué être d’accord avec les principes selon lesquels l’honoraire se démarque de l’émolument en ce qu’il est, d’une part, supplétif ou subsidiaire puisqu’il rémunère les services rendus dans l’exercice des activités non prévues dans le cadre des émoluments d’actes ou de formalités, d’autre part, exclusif parce que les notaires n’ont pas le droit de percevoir un honoraire si le tarif fixe un émolument pour la prestation en cause même s’il existe des exceptions à cette règle du non-cumul lorsqu’un service est rendu ou une consultation est donnée en supplément de la prestation habituelle ».
Ils ajoutent, concernant le conseil, « que si la frontière est parfois délicate à tracer entre, d’une part, le devoir de conseil et le devoir d’information lié à la rédaction de l’acte, d’autre part, le conseil autonome, objet de la demande principale du client et qui donne lieu à une prestation complémentaire, et si le prévenu s’est défendu en arguant que ce travail prenait parfois un temps important ce qui justifiait, selon lui, la perception d’honoraires en complément de l’émolument, la réclamation d’un honoraire pour des prestations comprises dans le forfait de l’émolument est manifestement abusive, le prévenu ayant cherché à compenser une insuffisance de rémunération par un usage interdit des dispositions réglementaires en matière de taxation ».
La Cour de cassation (29/10/2025, 23-82631) juge qu’en se prononçant ainsi, la cour d’appel n’a méconnu aucun textes au motif que :
– en premier lieu, « le caractère prévisible des éléments constitutifs du délit défini à l’article 313-1 du code pénal n’est pas altéré par son application au fait, pour un notaire, de demander une rémunération dont il ressort clairement des motifs précités qu’elle n’est pas conforme aux dispositions de l’article 4 du décret n° 78-262 du 8 mars 1978« .
– en second lieu, « l’articulation des dispositions précitées, de nature pénale et non pénale, a permis au prévenu, professionnel qui doit faire preuve d’une grande prudence dans l’exercice de son métier, de prévoir, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, en s’entourant au besoin de conseils éclairés, les conséquences pouvant résulter de ses actes« .
* Ensuite, pour déclarer le prévenu coupable du chef d’escroquerie, la cour d’appel énonce, notamment, « qu’il résulte des rapports d’inspection versés au dossier une dérive dans la perception des honoraires [du notaire] qui a été alerté depuis plusieurs années de la nécessité de changer sa pratique ».
Les juges du fond ajoutent que « toutes les lettres de mission et les factures d’honoraires de l’étude [du notaire], émises en application de l’article 4 du décret n° 78-262 du 8 mars 1978 portant fixation du tarif des notaires, comportent globalement les mêmes prestations et les mêmes tarifs, alors que ce texte suppose une rémunération supplémentaire à l’émolument justifiée par la spécificité du dossier« .
Ils relèvent également que le notaire « a eu recours, de façon systématique, aux honoraires prévus par l’article 4 précité, bien au-delà de ce que la législation et même une certaine pratique notariale admise lui permettait, et ce, en toute connaissance de cause puisqu’il a été averti à plusieurs reprises par les instances professionnelles de cette dérive« .
Ils retiennent encore « que si le prévenu a tenu en partie compte de ces avertissements, comme le montre un infléchissement des sommes réclamées au titre de l’article 4 précité, il a poursuivi cette pratique d’honoraires illicites dans les dossiers de succession, pour des actes qui relevaient de façon évidente de la mission du notaire, rémunérée par le seul émolument.
Ils concluent que de tels agissements sont de nature à établir un abus de fonction permettant de se faire remettre des fonds au titre d’honoraires en trompant les clients de l’étude sur la réalité ou l’étendue des prestations accomplies« .
La Cour de cassation juge qu’en « se déterminant ainsi, la cour d’appel (…) qui a caractérisé l’élément intentionnel du délit dont [le notaire], qui a sciemment abusé de sa qualité de notaire pour obtenir des paiements indus, a été déclaré coupable, a justifié sa décision ».
C.Cass.Crim., 29/10/2025, 23-82631 ;
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