La Cour de cassation apporte d’utiles précisions sur le régime du prêt viager hypothécaire.

Par actes notariés du 20 décembre 2007 et du 19 mai 2010, une banque a consenti deux prêts viagers hypothécaires d’un montant respectif de 211 200 euros et de 25 700 euros à un emprunteur, décédé le 11 mars 2014. Pour l’octroi du premier prêt en 2007, la valeur du bien hypothéqué avait été estimée par un expert à la somme de 960 000 euros, puis pour l’octroi du second en 2010, à 1 030 000 euros.

Estimant que le bien hypothéqué avait été surévalué, les héritiers du défunt ont notamment engagé une action en nullité des prêts pour vice du consentement contre la banque. Au cours de cette instance, une expertise judiciaire a évalué la valeur de l’immeuble à 540 000 euros en 2007 et 575 000 euros en 2010.

Dans sa décision du 19/06/2024 – 22-20533, 22-21719 – la Cour de cassation va apporter plusieurs précisions sur le régime de l’annulation du prêt viager hypothécaire.

* Tout d’abord, la banque a vu rejetée la fin de non-recevoir tirée de l’absence de publicité des actes de procédure présentée sur le fondement des articles 28 et 30-5 du décret N. 55-22 du 04/01/1955.

La Cour de cassation rappelle que :

– selon l’article 28, 1 et 4, c, du décret précité, “doivent être publiées les demandes en justice tendant à obtenir la résolution, la révocation, l’annulation ou la rescision d’une convention ou d’une disposition à cause de mort portant ou constatant entre vifs soit mutation ou constitution de droits réels immobiliers, autres que les privilèges et hypothèques, soit bail pour une durée de plus de douze années, et, même pour un bail de moindre durée, quittance ou cession d’une somme équivalente à trois années de loyers ou fermages non échus, soit titre d’occupation du domaine public de l’Etat ou d’un de ses établissements publics constitutif d’un droit réel immobilier ainsi que cession, transmission ou retrait de ce titre” ;

– qu’aux termes de l’article 30-5 du même décret, “les demandes tendant à faire prononcer la résolution, la révocation, l’annulation ou la rescision de droits résultant d’actes soumis à publicité ne sont recevables devant les tribunaux que si elles ont été elles-mêmes publiées conformément aux dispositions de l’article 28-4, c, et s’il est justifié de cette publication par un certificat du conservateur ou la production d’une copie de la demande revêtue de la mention de publicité”.

Elle précise qu’il en résulte que “la sanction prévue par l’article 30-5 du décret ne concerne que le défaut de publication des demandes visées à l’article 28-4, c, et non, de manière générale, le défaut de publication de toute demande en justice se rapportant à un droit soumis à publicité“.

Elle ajoute que le “prêt viager hypothécaire, prévu à l’article L. 314-1, devenu L. 315-1 du code de la consommation, n’emporte pas, à titre principal, mutation ou constitution de droits réels immobiliers, même si le prêteur peut se faire attribuer la propriété de l’immeuble en l’absence de remboursement à l’échéance, par décision judiciaire ou en vertu d’un pacte commissoire. Cette faculté ne permet pas de qualifier le prêt d’acte portant sur la mutation de droits réels sous condition suspensive“.

Par ailleurs, “si l’hypothèque conventionnelle qui garantit obligatoirement le prêt est bien constitutive d’un droit réel accessoirece droit, aux termes mêmes de l’article 28 du décret du 4 janvier 1955, ne fait pas partie de ceux dont la publicité est régie par ce texte. Les hypothèques ne sont pas plus comprises dans le champ d’application de l’article 30-5 du décret précité dès lors que ce texte renvoie à l’article 28 et est inséré, comme lui, dans un chapitre intitulé “publicité des droits sur les immeubles autres que les privilèges et hypothèques“”.

Elle juge qu’en “conséquence, la demande d’annulation d’un prêt viager hypothécaire, qu’elle vise ou non la convention d’hypothèque garantissant le prêt, ne fait pas partie des demandes qui doivent être publiées à peine d’irrecevabilité en application des articles 28 et 30-5 du décret du 04/01/1955“.

* Dans un second temps, la demande d’annulation du prêt viager hypothécaire conclu le 20 décembre 2007 a été déclarée irrecevable comme prescrite par la cour d’appel qui a retenu “que le défunt n’a jamais contesté l’évaluation de son bien résultant de l’estimation réalisée par l’expert, ce alors qu’il avait connaissance de l’ensemble des éléments qui ont servi à cette évaluation, étant partie prenante à l’expertise et qu’il lui était loisible de discuter, ce dont il s’est abstenu”.

Au visa des articles 1109 et 1304 du Code civil dans leur rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance N. 2016-131 du 10/02/2016, la Cour de cassation rappelle que “la prescription quinquennale de l’action en nullité pour erreur a pour point de départ le jour où le contractant a découvert l’erreur qu’il allègue” et juge qu’en se déterminant ainsi, “sans rechercher, comme elle y était invitée, à quelle date l’emprunteur avait pu avoir connaissance du vice, dans toute son ampleur et ses conséquences, ses héritiers soutenant que l’erreur sur l’évaluation de l’immeuble hypothéqué n’avait pu être découverte que lors du dépôt du rapport d’expertise judiciaire, la cour d’appel a privé sa décision de base légale”.

* Enfin, pour rejeter l’action en nullité du prêt consenti le 19 mai 2010, la cour d’appel a retenu que “la surévaluation du bien immobilier affecté par l’hypothèque ne peut être considérée comme constitutive d’une erreur déterminante du consentement de l’emprunteur et que ce n’est pas la valeur du bien qui a déterminé le consentement de [l’emprunteur], lequel a obtenu le prêt dans les conditions qu’il souhaitait”.

La Cour de cassation rappelle :

– qu’il résulte de l’article 1110 du Code civil (ancien) que “l’erreur doit être déterminante du consentement et que le caractère déterminant s’apprécie eu égard aux personnes et aux circonstances dans lesquelles le consentement a été donné“.

– que selon l’article L. 314-5, 3° du Code de la consommation (ancien) “l’offre de prêt viager hypothécaire doit obligatoirement comporter l’évaluation à dire d’expert du bien hypothéqué“.

Elle précise qu’il “se déduit de la combinaison de ces textes qu’en matière de prêt viager hypothécaire, l’évaluation à dire d’expert du bien hypothéqué, entrée dans le champ contractuel par l’effet de la loi, est nécessairement déterminante du consentement de l’emprunteur“.

Elle juge donc qu’en “statuant ainsi, la cour d’appel a violé les textes susvisés“.

C.Cass.Civ.1ère, 19/06/2024, 22-20533, 22-21719 ;
legifrance.gouv.fr

     Voir le Diane infos

Print Friendly, PDF & Email
0 votes

Laisser un commentaire

DIANE-INTRANOT

GRATUIT
VOIR